Poèmes de Fresnes
« Vienne la nuit que je m’embarque, Loin des murs que fait ma prison Elle suffit pour qu’ils s’écartent, Je retrouve mes horizons. Que m’importe si l’on me parque La Nuit abat toutes cloisons. Avec la nuit je me promène Sous le soleil des jours anciens. Je ne vois plus ce qui m’enchaîne, Le sommeil brise le destin : Voici la mer, voici la Seine, Voici les fraîches joues des miens. Comme dans les camps d’Allemagne, Chaque nuit, ô Nuit, tu reviens Me rendre tout ce qu’on éloigne. Je ferme les yeux sous tes mains, Je m’embarque, tu m’accompagnes, Me caresses jusqu’au matin. O Nuit, ô seul trésor pareil Pour l’homme libre ou le proscrit, Je t’ai donc retrouvée, merveille, Après trois ans te revoici! Je me rends à ton cher soleil, Enlève-moi comme jadis. Sur la paille où sont les soldats, Tu m’apportais les mêmes songes Qu’aux heureux dont je n’étais pas. Aujourd’hui, vers toi je replonge, O secourable, ô toujours là, O Nuit qui n’as pas de mensonges. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Vienne la nuit (24 Octobre 1944), éd. Louvain, p. 19
« La sottise au dehors dans le sang rouge baigne, Et l'ennemi déjà s'imagine immortel, Mais lui seul croit encore au long temps de son règne Et nos barreaux, Seigneur, ne cachent pas le ciel. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Psaume I (28 Octobre 1944), éd. Louvain, p. 25
« Vous avez fait le ciel pour vous-même, Seigneur, Et la terre d’ici pour les enfants des hommes, Et nous ne savons pas de plus réels bonheurs Que les bonheurs cernés par le monde où nous sommes, Nous voulons bien un jour célébrer vos louanges Et nous unir aux chants de vos désincarnés, Mais vos enfants, Seigneur, ils ne sont pas des anges, Et c’est aux cœurs d’en bas que le cœur est lié. Pardonnez-nous, Seigneur, de ne pas oser croire Que le bonheur pour nous ait une autre couleur Que la joie de la source où nos bouches vont boire Et du feu où nos mains recueillent la chaleur. Pardonnez-nous, Seigneur, dans nos prisons captives De songer avant tout aux vieux trésors humains, Et de nous retourner toujours vers l’autre rive Et d’appeler hier plus encore que demain. Pardonnez-nous, Seigneur, si nos âmes charnelles Ne veulent pas quitter leur compagnon le corps, Et si je ne puis pas, ô terre fraternelle, Goûter de l’avenir une autre forme encor. Car les enfants pressés contre notre joue d’homme, Les êtres qu’ont aimés nos cœurs d’adolescents Demeurent à jamais devant ceux que nous sommes, L’espoir et le regret les plus éblouissants. Et nous ne pourrions pas, pétris de cette terre, Rêver à quelque joie où ne nous suivraient pas La peine et le plaisir, la nuit et la lumière Qui brillaient sur le sol où marquèrent nos pas. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Psaume II (30 octobre 1944), éd. Louvain, p. 27
« Seigneur, voici couler le sang de la patrie. J’entends le bruit qu’il fait en tombant sur la terre, Le bruit sourd, en cinq ans de luttes ennemies, De ces gouttes tombant du corps de tant de frères. Seigneur, voici couler le sang de notre race, Sang du combat guerrier, sang des guerres civiles, Sang des foyers noircis que quelque flamme effface, Sang de ceux qu’on fusille aux fossés de nos villles. Seigneur voici couler le sang de notre terre. Le sang qui a coulé n’est jamais qu’un sang pur, Et le voici mêlé, le sang des adversaires, Figé sur nos pavés comme un verglas plus dur. Seigneur voici couler le sang de nos garçons, Il a tout recouvert la patrie déchirée. Quand verrons-nous jaillir, ô tardive saison, De tout ce sang versé la moisson désirée? »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Psaume IV (9 novembre 1944), éd. Louvain, p. 33
« Mon pays m'a fait mal par ses fables d'esclave, Par ses bourreaux d'hier et par ceux d'aujourd'hui, Mon pays m'a fait mal par le sang qui le lave, Mon pays me fait mal. Quand sera-t-il guéri? »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Mon pays me fait mal (18 novembre 1944), éd. Louvain, p. 36
« Exilés sur le bord des eaux de Babylone Nous avons suspendu nos souvenirs, Seigneur, Aux arbres dépouillés par les pluies de l'automne, Et rappelons ainsi le passé dans nos cœurs. On nous dit de chanter sur la terre étrangère Les chansons qui berçaient les jours évanouis, On voudrait voir monter de nos longues misères Le dérisoire appel des plaisirs de jadis. Et parfois reprenant sur l'invisible fleuve Nos vieux chants d'autrefois de nos bouches fermées, Nous nous laissons aller aux espérances neuves Et ranimons l'éclat des choses bien-aimées. Nous ne demandions rien, ô Seigneur, cependant, Que les moindres trésors de ce qu'on nomme vivre, Les amis de jeunesse et les joues des enfants, La maison et la mer, et la Seine, et les livres. Nous ne demandions rien, ô Seigneur, ou bien peu Le lit où reposer dans la nuit notre tête. La plus modeste joie et le plus petit feu, La cendre qu'aujourd'hui disperse la tempête. Nous n'étions pas, Seigneur, tellement difficiles, Nous n'avions pas besoin de gloire ni d'argent, Seulement du murmure amical de la ville, Nous n'étions pas, Seigneur, tellement exigeants. Et maintenant qu'au bruit que fait le vent d'automne, Tout s'est évanoui de ce que nous aimions, Exilés sur le bord des eaux de Babylone, Vaut-il pas mieux se taire, ô captifs de Sion? Par le silence seul qui tombe sur la rive Reste digne du chant des printemps disparus, Et jette, sur le feu des blessures captives Le baume sous lequel le cœur ne saigne plus. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Psaume V (22 novembre 1944), éd. Louvain, p. 37
« Qu'importe aux enfants du hasard Le verrou qu'on tire sur eux : Noël n'est pas pour les veinards, Noël est pour les malchanceux. Voici la nuit : il n'est pas tard. Mais la cloche tinte pour eux. Bon Noël des garçons en taule, Noël des durs et des filous, Ceux dont la vie ne fut pas drôle, La fille que bat le marlou, Le gars qui suivait mal l'école, Ils te connaissent comme nous. Noël derrière les barreaux, Noël sans arbre et sans bonhomme, Noël sans feu et sans cadeaux, C'est celui des lieux où nous sommes, Où d'autres ont joué leur peau, Sur la paille dormi leur somme. Les chefs qui lâchent leurs garçons, Ceux qui s'enfuient, ceux qui sont riches, Boivent sec dans leurs réveillons De la Bavière ou de l'Autriche, Mais nous autres dans nos prisons, Nous sommes contre ceux qui trichent. Je t'adopte, Noël d'ici, Bon Noël des mauvaises passes : Tu es le Noël des proscrits, De ceux qui rient dans les disgrâces, Des pauvres bougres qu'on trahit, Et des enfants de bonne race. Nous savons qu'au dehors, ce soir, Les amis et les cœurs fidèles, Les enfants ouvrant dans le noir, Malgré le sommeil, leurs prunelles, Évoquent l'heure du revoir Et tendent leurs mains fraternelles. Et pour revoir, gens du dehors, Le vrai Noël de nos enfances, Il suffit de fermer encor Nos yeux sur l'ombre de l'absence, Pour dissiper le mauvais sort Et faire flamber l'espérance. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Noël en taule (Noël 1944), éd. Louvain, p. 39
« En premier mon âme est laissée A Dieu qui fut son Créateur, Ni sainte ni pure, je sais, Seulement celle d'un pécheur, Puissent dire les saints français, Qui sont ceux de la confiance, Qu'il ne lui arriva jamais De pécher contre l'espérance. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Testament d'un condamné (22 janvier 1945), éd. Louvain, p. 48
« Pour eux tous j'avais les mains pleines : Elles sont vides maintenant Des images les plus lointaines, Du passé le plus émouvant. Je ne garde pour emporter Au-delà des terres humaines Loin des plaisirs de mes étés, Des amitiés qui furent miennes, Que ce qu'on ne peut m'enlever, L'amour et le goût de la terre, Le nom de ceux dont je rêvais Au cœur de mes nuits de misère, Les années de tous mes bonheurs La confiance de mes frères, Et la pensée de mon honneur Et le visage de ma mère. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Testament d'un condamné (22 janvier 1945), éd. Louvain, p. 54
« Au berceau de l’enfant Honneur On a vu deux fées apporter Deux présents pour l’enfant Honneur Le courage avec la gaieté. - À quoi, dit-on à la première, Sert un présent comme le vôtre? - Presqu’à rien répond la première À donner du courage aux autres. - L’autre, dit-on à la seconde, N’est-il pas de trop pour l’Honneur? - Un enfant, répond la seconde, A toujours besoin d’une fleur. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : L'enfant honneur (30 janvier 1945), éd. Louvain, p. 61
« Selon Mathieu. Je monte vers Gethsémani Tout au long de la nuit obscure. La nuit est longue, la nuit dure, O nuit, odeur de l’agonie. Autour de moi rien ne subsiste De tout cela que je rêvais. jusqu’à la mort, mon âme est triste, Mon âme est triste, il faut veiller. Selon Marc. Père, est-il vrai que vienne l’aube? Qu’approche celui qui me livre? Que ce calice se dérobe! Que le matin me laisse vivre! Mais s’il faut bien que je m’apprête, Si nul ne peut rompre mes chaînes, Que votre volonté soit faite, La vôtre, Père, et non la mienne! Selon Luc. Les miens sont endormis encor, Accablés sous l’immense peine. La sueur coule de mon corps, Le sang s’écoule de mes veines. Est-ce un Ange qui vient vers moi? Ses paumes sont douces et fortes, Il rafraîchit mon désarroi, Il me parle et me réconforte. Selon Jean. Si viennent juges et vendus, Père, je pourrai leur jurer Que personne ne s’est perdu De ceux qu’on m’avait confiés. J’aurai gardé de l’aventure Ceux-là qui ont su m’écouter La nuit est longue, la nuit dure, Mais j’y maintiens cette fierté. Si longue soit-elle et si dure, En souvenir de l’agonie, Seigneur, et de ta nuit obscure, Sauve-moi de Gethsémani. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : Gethsémani (3 février 1945), éd. Louvain, p. 67
« Les trois derniers soirs, j'ai relu le récit de la Passion, chaque soir, dans chacun des quatre Évangiles. Je priais beaucoup et c'est la prière, je le sais, qui me donnait un sommeil calme. »
— Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes : La mort en face (6 février 1945), éd. Louvain, p. 74